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24 juillet 2011 7 24 /07 /juillet /2011 22:07

Interview de Gilles Servat par André Litou.
AL : Gilles Servat, d’où vient ce conte complètement déjanté ?
GS : Il s’agit d’un conte irlandais que l’on trouve, entre autres, dans le Book of Leinster, un manuscrit daté de 1160. Les histoires relatées dans ce manuscrit sont bien antérieures et viennent des temps préchrétiens. Les druides considéraient l’écriture comme figée. Elle servait à garder pour toujours le nom des morts et à placer en certains endroits des formules magiques au pouvoir définitif. Avec le christianisme, l’écriture a d’abord servi à traduire la bible en gaélique, puis à retranscrire les mythes et l’épopée, perçus comme l’Histoire d’Irlande. Ce sont donc des moines qui ont écrit ces récits, avec probablement quelques retouches ça et là, nouvelle religion oblige. À mon humble avis pas tant que ça. Vaine discussion, de toute façon. Comme il n’y a pas d’enregistrements des contes avant l’écriture, on ne saura jamais la vérité. Prenons les tels qu’ils sont, c’est déjà miraculeux de les avoir.
AL : C’est donc un conte très ancien ?
GS : Il fait partie d’un ensemble d’histoires décrivant une société dans laquelle les guerriers combattent sur des chars, comme dans l’Iliade. Si ces récits datent du Ve siècle, ce qui leur donne déjà un bel âge, ils décrivent un monde bien plus ancien que le Ve siècle en Gaule. L’Irlande a échappé aux Romains. Sa société a gardé des structures qui avaient déjà disparu chez les Gaulois quand César a vaincu Vercingétorix..
AL : Comment l’avez-vous connu ?
GS : Vercingétorix ?
AL : Non ! Le conte.
GS : J’ai eu un choc terrible et magnifique, dans les années 70, en lisant les « Textes mythologiques irlandais » traduits et publiés par Françoise Le Roux et Christian. J. Guyonvarc’h. Enfin des textes celtiques qui parlaient d’autre chose que la Table Ronde, les chevaliers et l’amour courtois. Enfin les Celtes sans les rajouts du Moyen-Âge !
AL : Vous n’aimez pas les romans de la Table Ronde ?
GS : Si, si ! Nous y trouvons les Celtes à une période historique dont ils subissent l’influence, comme toutes les populations d’Europe occidentale. Ils n’ont plus ni structures sociales, ni religion propres et leurs mythes passent par le filtre de la pensée moyenâgeuse. Il est d’ailleurs très intéressant de comparer, par exemple, Tristan et Yseult avec « L’Exil des Fils d’Uisliu ». Cette histoire qui est un prototype de Tristan et Yseult, se passe dans une société celtique avec roi, druides et guerriers, et le gouffre est immense entre les deux. Surtout dans la façon d’envisager les rapports humains. Il n’est jamais question d’adultère ni de péché. Toutes ces histoires avec Yseult et Guenièvre sont des rajouts qui n’ont plus rien de celtique. La violence de L’Exil des Fils d’Uisliu m’a coupé le souffle. L’héroïne s’appelle Deirdre. Yseult, à côté, c’est du roman photo.
AL : De qualité !
GS : Monsieur, Madame et l’autre… Les trois quarts de la littératures bourgeoise sont déjà là. Il est d’ailleurs étrange que la plupart des romans de fantasy s’inspirent de ces romans du Moyen-Âge plutôt que des textes anciens. Peut-être parce que dans ces derniers les rapports humains sont trop différents des nôtres. Il n’est jamais question de sentiments qui nous dominent, mais d’injonctions auxquelles on doit se plier ou de promesses à tenir pour tenir son rang et éviter la honte. De même, les narrateurs sont d’une objectivité incroyable. Jamais ils n’émettent un jugement, un attendrissement, un apitoiement. Les faits, rien que les faits. C’est la force de ces récits. Les caractères des personnages ne sont pas décrits à l’avance. Ils sont dévoilés peu à peu par leurs actions et leurs réactions.
AL : Je vois que quand vous parliez de choc à la lecture des textes mythologiques irlandais, le mot n’était pas trop fort!
GS : Et ce choc a eu des conséquences… J’ai voulu connaître la langue de ces textes mythologiques. J’ai donc suivi pendant deux ans, en auditeur libre, les cours de Monsieur Guyonvarc’h à la fac de Rennes. J’avais étudié au lycée le latin (sans trop de plaisir) et le grec (avec plaisir). Ajouté à cela mes connaissances en grammaire bretonne, j’ai eu moins de difficultés que certains qui n’avaient jamais vu de déclinaisons, de mutations ou de conjugaison des prépositions. Puis j’ai continué, par goût, au cours de mes pérégrinations irlandaises, à acheter des ouvrages en irlandais ancien. Un jour, dans la librairie de Gweltaz Ar Fur, « Ar Bed Keltiek », sorte de grotte d’Ali Baba celtique, près de la cathédraleà Quimper, j’ai trouvé un livre en anglais « an introduction to old irish », de R.P.M et W .P. Lehman, publié au USA. Le texte étudié dans ce livre est l’histoire du cochon de Mac Dathó. La traduction m’était plus simple, encore qu’il me faille passer de l’anglais au gaélique et du gaélique au français et même au breton car je l’ai traduit dans ces deux langues. Le breton, par parenté celtique, étant celle qui s’y prête le mieux.
AL : Vous envisagiez de le publier ?
GS : Ces traductions ont été publiées par l’Atalante, qui édite aussi mes romans, les Chroniques d’Arcturus, inspirés ou plutôt provoqués par les textes irlandais anciens.
AL : Et pourquoi passer de la traduction à la scène ?
GS : C’était une sorte de pari. En le traduisant je me suis dit que ce texte était à l’origine un conte. J’emploie ce mot à dessein. Il n’est jamais utilisé par les savants, car il a une connotation folklorique. « Récit » fait plus sérieux. Je précise, pour leur donner raison, que ces contes étaient perçus comme réels, relatant, comme je l’ai déjà dit, l’Histoire de l’Irlande. Ils allaient du mythe à l’épopée. L’histoire du cochon de Mac Dathó fait partie des contes épiques. Devant ce texte, je me suis dit qu’il serait intéressant de voir si le public du XXIème siècle pouvait recevoir avec plaisir une histoire aussi éloignée de nous.
AL : Mais, en dehors de ce pari, qu’avez-vous trouvé dans l’histoire elle-même, qui vous donne envie de la conter en public ?
GS : Si Achille et Cúchulainn, le grand héros irlandais, combattent sur des chars, il y a une grande différence entre eux : la démesure. Par exemple, lorsque Cúchulainn encore enfant, revient de son premier combat, il faut le plonger dans trois tonneaux d’eau froide. Le premier explose, le second bout à gros bouillons, le troisième parvient à lui rendre sa température normale. L’histoire du cochon de Mac Dathó est dans cette démesure qui n’est pas sans évoquer Rabelais. On voit bien que le classicisme a fait table rase de la démesure. Après Malherbe, fini Gargantua. Dommage. Car c’est justement cette outrance qui m’a donné envie de raconter l’histoire du cochon de Mac Dathó. Et aussi le déroulement de l’histoire, les ruptures de ton, les personnages incroyables, la fin stupéfiante.
AL : Et comment êtes-vous passé à l’acte ?
GS : Je finissais la traduction quand j’ai reçu un appel de Jean-Claude Fournier, dessinateur célèbre, qui me proposait dans le cadre du festival de bande dessinée Quai des Bulles, à St Malo, de participer à « Conte en bulle ». Un conteur, un musicien, un dessinateur. Pendant le conte, l’aventure du dessin est projetée sur un écran en fond de scène. Je lui ai proposé l’histoire du cochon de Mac Dathó. Il a accepté. Nous l’avons donné trois fois. J’étais accompagné par Nicolas Quéméner à la guitare et c’est Lidwine qui dessinait.
AL : Lidwine qui a dessiné les couvertures de vos romans.
GS : Des cinq premiers, oui. C’était d’ailleurs un grand plaisir d’être sur scène avec lui. C’était symbolique aussi. Ce sont ces textes épiques et mythologiques irlandais qui m’ont donné envie d’écrire mes romans et, pour la première fois, je pouvais exprimer sur scène cette autre partie de moi-même.
AL : Quel fut l’accueil ?
GS : Bon. Mais j’avais un handicap. Ce texte était pour moi, comment dire… sacré ! Pas question d’en changer un mot, j’aurais eu l’impression de trahir le scribe qui nous l’a laissé. Le conte souffrait de cela et d’un manque de regard extérieur. Nous l’avons donné dans la même formule « conte en bulle » à Laval, mis en scène, cette fois par Rozenn Fournier, la fille de Jean-Claude. Il s’éclaircissait un peu, mais le public restait trop spectateur. Je pensais trop théâtre. J’en ai fait, à Hennebont, dans les années 80, avec le Théâtre de la Chimère.
AL : Quelles pièces avez-vous joué ?
GS : La première était « Les Chevaliers de la Table Ronde », de Jean Cocteau. Je jouais le rôle du Roi Artus. C’est drôle, non, après ce que j’ai dit tout à l’heure sur le Moyen Âge ? La seconde était « Antigone » d’Anouilh. Il n’était pas question, dans ces pièces, de faire un clin d’œil au public, ni de le solliciter. Ce n’était pas facile, pour un chanteur, de ne jamais regarder le public !
AL : Pourquoi disiez-vous que vous pensiez trop théâtre ?
GS : J’avais encore en tête les leçons de Michel Ecoffard, le metteur en scène. J’avais l’impression en m’adressant au public de faire du racolage. Je me trompais, bien sûr, mais il a fallu quelque temps de réflexion pour que je dissocie conte et théâtre. Le conte n’est pas du théâtre, même si, comme je le fais, le conteur joue de nombreux personnages. Le public doit être sollicité. Il doit intervenir. C’est à ce moment-là que le conte devient vivant et qu’une histoire du Ve siècle devient une histoire d’aujourd’hui, puisque le public la joue ! J’ai donc insisté et je l’ai donné en cabaret, avec Nicolas Quéméner et Audrey Le Jossec à l’accordéon diatonique, pendant quatre jours au Trousse Chemise, à Langan. Cette fois, je prenais des libertés avec le texte. Et je mettais le public dans le coup.
AL : Comment ?
GS : Deux peuples s’affrontent, dans cette histoire. Les Ulates et les Connachta. Je divise la salle en deux. A gauche les Ulates, à droite les Connachta. Les choses deviennent tout de suite beaucoup plus claires. Ensuite, chaque camp soutient ses héros ou se moque de l’autre. Les enfants s’éclatent, les grands retombent en enfance. On invente des quolibets. C’est chaud !
AL : Et depuis, est-ce que le conte évolue encore ?
GS : Et comment ! Nous l’avons donné à Poulfetan, en présence de Jean-Marc Derouen, grand conteur. Il nous a filmés. C’est ce qui nous manquait. Les défauts nous ont sauté aux yeux, en particulier le manque de cohésion entre nous. Il faut que les musiciens m’écoutent et réagissent à mes paroles, que je m’adresse à eux, qu’ils regardent les mêmes choses que moi, etc… Jean-Marc nous a mis en scène avec beaucoup d’exigence et le spectacle suivant, à Bretenoux, dans le Lot, a très bien marché. Il me restait à franchir le dernier pas : seul en scène.
AL : Les musiciens ne vous conviennent plus ?
GS : Si, bien sûr ! Mais j’ai l’intention de tourner aussi dans des petits lieux. Je l’ai donc adapté pour la scène en solitaire. Je remplace les intermèdes musicaux par des chansons écrites spécialement. J’ai aussi rajouté du texte, en particulier sur le cochon monstrueux. Le scribe nous laisse un peu sur notre faim, si j’ose dire en parlant d’un cochon nourri par soixante vaches laitières pendant sept ans ! J’en ai rajouté dans la démesure.
AL : Vous avez désacralisé le conte ?
GS : En fait, j’étais tombé dans le piège de l’écriture ! En respectant l’écrit, je figeais l’histoire ! Comme quoi les druides avaient raison de ne pas écrire ! J’ai donc donné la primauté au verbe. Maintenant les transformations viennent de la confrontation au public, exactement comme les chansons évoluent selon ses réactions. J’ai un avantage sur les bardes anciens : le public ne connais pas l’histoire. Pour eux, qui s’adressaient à un public averti, les possibilités d’improvisation devaient être limitées.
AL : Et vous l’avez donné seul ?
GS : Oui ! À Épinal, pendant les « Imaginales » salon de la littérature fantastique. Je craignais d’avoir un public un peu blasé. Ils criaient plus fort que les enfants ! L’été dernier aussi, au St Marcois, à côté de la plage de Mr Hulot (celui campé par Jacques Tati, bien sûr !). Tout un symbole pour moi.
Al : Vous semblez tenir à cette référence aux enfants.
GS : Il y a une grande différence entre eux et les adultes. Les enfants s’en foutent de tout comprendre. Lors des trois premiers spectacles à St Malo, l’un était réservé aux enfants. C’est celui qui a le mieux marché. Alors maintenant qu’ils peuvent participer ! Nous avons donné le conte chez moi, à Locoal-Mendon. Ma fille était là, avec ses copains d’école. Ils sont venus dans la loge, après, encore tout excités. J’étais heureux.
AL : C’est un spectacle tout public.
GS : Il n’y a pas de spectacles tout public. Il est impossible d’être aimé par tout le monde. Disons plutôt que tous les âges peuvent y trouver leur compte.
AL : Et vous avez l’intention d’entamer une carrière de conteur ?
GS : Une carrière, c’est beaucoup dire, d’autant qu’elle serait brève, à l’âge que j’ai maintenant. Mais cette nouvelle forme de spectacle —nouvelle pour moi, bien sûr— me plaît et j’espère tourner avec elle. Je suis allé fin septembre au festival des Îles de la Madeleine, au Québec, et tout ce bonheur m’a décidé à continuer. J’ai plein de contes dans mes brouillons. Heureusement, car à peine rentré, on m’a demandé de dire un conte de 20 minutes pour l’ouverture des Utopiales, grand festival de la littérature fantastique et de science-fiction à Nantes. J’ai écrit un nouveau conte pour l’occasion. Oui, je vais aller vers ça. J’ai peur des pantoufles, et, depuis que je chante, j’ai souvent cherché des champs d’action diversifiés.
AL : Pouvez-vous nous donner quelques exemples ?
GS : J’ai fait du cinéma, avec René Vautier, du théâtre avec La Chimère, J’ai monté un spectacle, Le Fleuve, avec l’Orchestre symphonique de Bretagne. J’ai été récitant dans « The Pilgrim » de Shawn Davey. J’ai joué avec musiciens extraordinaires, dans des trucs de fous comme le Stade de France, les Vieilles Charrues avec un feu d’artifice, dans l’Héritage des Celtes, avec les harpistes d’An Triskell, avec le bagad de Locoal-Mendon… Et toujours, je retourne au cabaret. C’est finalement là que le danger est le plus grand. Seul, à un mètre du public.
AL : Avez-vous des regrets ?
GS : J’aurais aimé être un chanteur traditionnel. C’est trop tard…
AL : Pourquoi ?
GS : Il faut commencer sur les genoux de sa mère…

 

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